Entrer dans l’Avant

Il y a toujours un Avant.

Avant, c’est quand le ventre commence à s’arrondir de première lune en deuxième lune, l’une appelant l’autre jusque la lune la plus ronde. Les croches s’installent sur la partition en trilles encore hésitants, parce que l’instrument est tout neuf et s’essaie encore au hasard des portées. C’est trop tôt pour déposer entre Sol et Fa-Mi une ronde bien dodue. Il faut attendre.

Avant c’est quand on ne sait pas encore qui sera l’enfant qui va naître. On ne sait encore rien de lui. Ni la couleur de ses yeux ni celle de ses cheveux. Tout au plus a-t-on pu savoir qu’il sera fille ou garçon, mais ça nous avance à quoi ? Fille ou garçon seront l’un comme l’autre un nouveau mystère qui va fleurir notre vie. Et même si tu as appris que l’enfant que tu attends sera une fille, sais-tu seulement quelle fille elle sera ?

Avant, c’est une Parole qui est donnée et qui nous a conduits à faire de notre amour en duo un nouveau triolet, une surprenante trinité. Nous étions deux, nous serons trois. Tu étais à mes côtés, ma moitié, mais nous allons accueillir un tiers et ce tiers va prendre bien de la place dans la fraction de notre vie. Et nous irons de fractions en fractures, parce qu’il faudra l’aimer et s’en détacher, le serrer dans ses bras puis le laisser partir, l’additionner et le soustraire. Fraction comme le Pain partagé, Fracture comme le Corps brisé.

Ces paroles qui sont à l’origine de notre trinité sont multiples : elles sont pour l’un un simple « Je t’aime », pour d’autres un cri passionné dans lequel se guérissent des blessures enfouies, pour d’autres encore un élan silencieux qui les a portés si haut l’espace d’une étreinte qu’ils ne l’oublieront jamais. Mais il faut dans tous les cas que ce soit une Parole qui soit à l’origine de notre procréation, car seul le Verbe est créateur…

De toutes ces paroles échangées entre ces couples amoureux prêts pour la grande étreinte créatrice, de toutes les futures mamans du monde, il en est une qui a reçu une Parole créatrice absolument étonnante : « Réjouis-toi, comblée de grâce, tu as trouvé grâce auprès de Dieu… et tu vas enfanter un fils… ». Peut-être sommes-nous bien loin du « Je t’aime » classique sur canapé de romantisme, mais l’essentiel y est pour donner vie, parce que ces mots qui viennent tout droit du Ciel sont à leur façon un « Je t’aime » retentissant : moi ton Créateur, j’ai trouvé tellement de grâce en toi, ma créature que je vais te confier d’être la mère de mon enfant. Quel amour et quelle confiance Dieu n’a-t-il pas mis en Marie pour lui demander d’être celle qui va mettre au monde son Enfant ! Quel magnifique échange entre Créateur et Créature, quand le premier offre à la seconde son propre bonheur d’être celui qui donne vie.

Il n’y manque plus que le « oui » à venir. Il est venu si vite, à peine le temps d’une question tellement naïve et naturelle, car comment résister plus longtemps à une telle déclaration, si l’on est déjà passionnée de Dieu ? Parole donnée, puis parole rendue aussitôt : « Qu’il me soit fait selon ta Parole ».

Avant pour Marie, c’est plus beaucoup d’inconnu que pour tout autre femme. Bien sûr, le père de son enfant n’est pas vraiment inconnu pour une femme de grande foi, mais Il est grand mystère. Elle ne sait vraiment pas comment sera cet enfant. La couleur de ses yeux, de ses cheveux ? Elle en sait encore moins que tous les couples du monde qui ont leur miroir pour deviner un peu du visage d’un futur nouveau-né. Au moins pour elle, son miroir ne lui renvoie pas sa propre image, mais celle de Dieu.

Elle n’en saura pas plus. Pour l’instant. Son ventre s’arrondit. Sa joie grandit. Puis elle a ses moments de doute, de crainte. Mais sa cousine Elisabeth fait plus que la réconforter : elle lui chante combien son aventure est magnifique. Elle repart apaisée : d’autres créatures ont été touchées par la grâce et lui confirment qu’elle porte bien le fruit d’un Amour qui dépasse l’entendement, mais qui pousse à l’écoute.

Mais elle ne sait toujours pas qui est l’enfant. Elle est toujours Avant.

Nous devrions faire comment elle, un moment. Faire comme si nous ne savions absolument pas qui sera cet enfant qu’elle va mettre au monde. Comme si nous n’en n’avions pas la moindre idée. Comme ça, nous pourrions repartir à la crèche pour le redécouvrir une nouvelle fois, comme s’il nous était encore inconnu. Nous remettre à genou devant lui avec dans la tête ces mille questions que l’on se pose sur les nouveau-nés.

Avant, on ne sait pas. Mais ça permet de décupler notre soif de savoir, notre envie de découverte. Il faut redécouvrir cet enfant. Il va nous offrir des paroles différentes, nouvelles, remuantes, comme tout enfant qui vient bouleverser notre vie. Il va nous remettre en questions. Il est là pour ça.

Alors surtout, de grâce, ne faisons pas comme si nous le connaissions déjà. Sans quoi nous ne sommes plus en Avent.

 

BRUNO

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